Pourquoi les jeux à gratter attirent-ils majoritairement des gens de classe populaire ?


Les jeux à gratter connaissent un succès fulgurant depuis plusieurs années et attirent majoritairement des gens de classe populaire. Pourquoi cet engouement ? Nous allons nous intéresser aux raisons sociales et psychologiques qui expliquent cet attrait. Et surtout, proposer une analyse des enjeux qui y sont liés. Nous explorerons également les conséquences de cette tendance, et les initiatives mises en place pour lutter contre les problèmes qui en découlent.

Les jeux à gratter et leur attrait pour les classes populaires

Les jeux à gratter sont des jeux de hasard qui consistent à gratter une surface pour révéler des symboles ou des chiffres et déterminer si le joueur a gagné ou non un prix. Vous le saviez déjà certainement, mais c’est le jeu de hasard numéro 1 en France, bien loin devant les paris sportifs par exemple. 

Depuis le début de leur exploitation à la fin des années 80, les tickets à gratter promettent à leurs joueurs de gagner rapidement et facilement de l’argent. Pour jouer, rien de plus simple ! Vous achetez un ticket pour une petite somme d’argent, vous grattez, et vous laissez le hasard faire les choses. 

C’est cette accessibilité, et surtout, cette facilité qui expliquent en grande partie le succès des jeux de grattage. En 2023, l’ensemble des jeux de grattage exploités par la Française des jeux ont représenté 48,8 % des mises totales des joueurs. La moitié du chiffre d’affaires de la FDJ est composé des “grattage illiko“. Cela prouve la popularité de ces fiches cartonnées.

Selon une étude menée par l’Observatoire des Jeux en France en 2021, ce sont les classes populaires qui sont particulièrement friandes de ce type de jeu. La raison de cet attrait comporte plusieurs facteurs, que ce soit psychologique ou social.

Facteurs psychologiques et sociaux expliquant cet engouement

La grande majorité des amateurs de jeux à gratter sont les membres de la classe populaire. Ainsi, cet engouement est expliqué par plusieurs raisons inhérentes à cette classe sociale.

L’espoir d’améliorer sa situation financière :

En 2005, deux chercheurs (K Brandon Lang et Megumi Omori) ont utilisé un panel de 15 000 personnes afin de les sonder et de réaliser une étude concernant les jeux d’argent.

Cette étude examine les facteurs démographiques qui influencent les pertes liées aux jeux de hasard, y compris les loteries, et montre que les individus à faible revenu et avec une éducation limitée sont plus susceptibles de participer à ces jeux dans l’espoir d’améliorer leur situation financière.

Ainsi, les classes populaires, qui sont souvent confrontées à des difficultés financières, espèrent pouvoir améliorer leur situation en gagnant de l’argent rapidement grâce aux jeux à gratter.

Le sentiment d’appartenance :

Les jeux à gratter offrent un fort sentiment d’appartenance à une communauté. Ainsi, vous pouvez aisément vérifier cet argument lorsque vous observez le nombre de chaîne YouTube ou TikTok créé autour de ce loisir. Les personnes suivants ces chaînes se retrouvent, et peuvent commencer l’actualité des jeux de grattage ou des nouveautés du secteur.

Dans “Social reward, conflict, and commitment: A theoretical model of gambling behavior – Journal of Gambling Studies” écrit en 1993, on peut lire la description d’un modèle théorique du comportement de jeu. Ce dernier met en évidence le rôle des récompenses sociales, du conflit et de l’engagement dans la participation aux jeux de hasard.

Selon ce modèle, les jeux de hasard, en offrant des récompenses sociales telles que le sentiment d’appartenance à une communauté, peuvent encourager les individus à participer à ces activités.

La recherche de divertissement :

Les jeux à gratter offrent une distraction et permettent d’échapper temporairement aux soucis du quotidien. C’est par ailleurs l’une des raisons principale qui expliquent la popularité des jeux de hasard, notamment auprès des personnes les plus “fragiles” socialement.

Dans “Why people gamble: A model with five motivational dimensions. International Gambling Studies”, l’auteur recherche au sein de son étude les différentes raisons qui poussent les gens à jouer. Cette étude propose un modèle qui identifie cinq dimensions motivationnelles pour expliquer pourquoi les gens participent aux jeux de hasard. L’une de ces dimensions est la recherche de divertissement et d’évasion.

Cette motivation de jeu n’est pas l’apanage des classes sociales les plus fragiles, mais couplée aux difficultés du quotidien, cette motivation est décuplée.

L’illusion de contrôle :

Les jeux à gratter donnent l’impression que le joueur a une certaine maîtrise sur le résultat, ce qui renforce l’attrait de ce type de jeux pour les personnes en situation de précarité. C’est en tout cas qu’à découvert la psychologue américaine Ellen Langer dans son étude ; The illusion of control. Journal of Personality and Social Psychology.

Cette étude menée par Ellen Langer, psychologue américaine, porte sur le concept d’illusion de contrôle. L’illusion de contrôle fait référence à la tendance des individus à croire qu’ils peuvent influencer les résultats d’événements aléatoires ou indépendants de leur volonté. L’étude montre que dans certaines situations, les individus ont tendance à surestimer leur capacité à contrôler les résultats, même lorsqu’il s’agit de situations totalement aléatoires.

Bien que cette étude ne se concentre pas spécifiquement sur les jeux à gratter, elle est pertinente pour expliquer l’attrait de ces jeux pour certaines personnes. Les individus peuvent se sentir attirés par les jeux à gratter en raison de l’illusion de contrôle, croyant qu’ils peuvent influencer les résultats en adoptant certaines stratégies ou en choisissant certains tickets, alors qu’en réalité, les résultats sont entièrement aléatoires.

Les conséquences de cette tendance sur les classes populaires

Ainsi, il existe une vraie tendance qui pousse les classes populaires à s’adonner aux jeux à gratter. La volonté de s’affranchir de sa condition, et surtout, le désir d’améliorer sa situation financière poussent la plupart des personnes les plus fragiles à jouer toujours plus. Mais cette motivation de jeu peut avoir des conséquences sociales néfastes. 

Le risque de dépendance :

Les jeux à gratter peuvent entraîner une dépendance, avec des conséquences potentiellement graves sur la santé mentale et financière des individus concernés. D’après un rapport de la santé publique publié en 2020, 1,3 millions de joueurs en France présentent des risques de dépendance. Parmi ces derniers, plus de 300 000 sont des joueurs avec une pratique excessive.

Il s’agit la d’une vraie problématique de santé publique, d’autant plus inquiétante que la part des joueurs ayant une pratique de jeu excessif a doublée entre 2014 et 2019. 

L’aggravation des inégalités sociales :

Les jeux à gratter contribuent à accroître les inégalités sociales, car les individus issus des classes populaires dépensent une plus grande part de leurs revenus dans ces jeux que les classes aisées, sans pour autant augmenter significativement leurs chances de gagner. 

En 1990,Charles T. Clotfelter et Philip J. Cook examinent les aspects économiques des loteries d’État aux États-Unis. Ils abordent des questions telles que la répartition des revenus générés par les loteries, l’incidence des loteries sur les dépenses des consommateurs et l’impact des loteries sur les inégalités sociales.

Les auteurs constatent que les individus issus des classes populaires dépensent une plus grande part de leurs revenus dans les loteries que les classes aisées, sans pour autant augmenter significativement leurs chances de gagner. Ainsi, cette étude montre comment les jeux de hasard, tels que les loteries, peuvent contribuer à accroître les inégalités sociales en raison de la répartition disproportionnée des dépenses entre les différentes classes sociales.

L’exploitation des classes populaires :

Les opérateurs de jeux à gratter ciblent souvent les populations défavorisées en les incitant à dépenser davantage dans ces jeux, alors que les revenus générés par ces activités sont en grande partie reversés aux opérateurs et aux gouvernements sous forme de taxes.

L’observatoire des jeux démontre dans son étude que les zones les plus populaires sont également celles ou les dépensent pour les jeux de grattage sont les plus élevées. Ils ajoutent que ce sont également les personnes les moins diplômés qui sont les plus exposés à la dépense dans les jeux d’argent. 

Ainsi les jeux à gratter attirent principalement les personnes à faible revenu, et ces personnes dépensent une part disproportionnée de leurs revenus dans ces jeux. 

Les initiatives pour lutter contre les problèmes liés aux jeux à gratter

Face aux problèmes engendrés par l’attrait des jeux à gratter pour les classes populaires, plusieurs initiatives ont été mises en place pour lutter contre la dépendance aux jeux et protéger les populations vulnérables :

La prévention et l’éducation :

Des campagnes de sensibilisation et d’information sur les risques liés aux jeux à gratter sont menées afin d’éduquer les joueurs et de promouvoir un jeu responsable. Sous l’impulsion du gouvernement, et avec le concours de la FDJ, de nombreuses initiatives sont créée afin de sensibiliser au jeu responsable.

Par ailleurs, d’après la FDJ, en 2022, les dépenses publicitaires pour des campagnes de sensibilisation au jeu responsable ont quasiment doublé par rapport à 2021.

Le soutien aux joueurs en difficulté :

Des services d’aide et de soutien sont proposés aux personnes présentant des problèmes de dépendance aux jeux à gratter, notamment via des lignes d’écoute téléphonique et des centres spécialisés. 

Un exemple de ligne d’écoute téléphonique en France est “SOS Joueurs” (http://www.sosjoueurs.org/), qui offre soutien et informations aux personnes concernées par les problèmes de jeu et à leurs proches. On peut citer également le site officielle Joueurs info service, qui permet de se faire aider de façon anonyme.

Ces ressources sont mises en place pour aider les personnes qui rencontrent des problèmes de dépendance aux jeux à gratter et autres jeux de hasard, en leur offrant des informations, du soutien et des conseils pour surmonter ces problèmes.

La régulation du marché des jeux à gratter :

Les autorités de régulation veillent à ce que les opérateurs de jeux à gratter respectent les règles en matière de publicité et de protection des joueurs, notamment en limitant l’accès aux mineurs et en instaurant des mesures d’auto-exclusion.
En France, c’est l’ANJ (l’autorité nationale des jeux) qui s’occupe de cette régulation en contrôlant régulièrement les opérateurs de jeux et en opérant des réglementations très strictes.

 

Finalement, les jeux à gratter séduisent majoritairement les classes populaires en raison de plusieurs facteurs sociaux et psychologiques. Parmi ces dernières on peut citer ; l’espoir d’améliorer sa situation financière, le sentiment d’appartenance, la recherche de divertissement et l’illusion de contrôle.
Néanmoins, cet engouement a des conséquences néfastes sur les individus concernés et contribue à aggraver les inégalités sociales. Il faut donc mettre en place des initiatives pour lutter contre les problèmes liés aux jeux à gratter et protéger les populations les plus vulnérables.

Il serait pertinent d’examiner si d’autres formes de jeux, telles que les paris sportifs, ont un impact similaire sur les classes populaires. Comme pour les jeux à gratter, il est important de comprendre les motivations et les conséquences de l’engagement dans les paris sportifs pour ces populations, afin de mettre en place des mesures de prévention et de protection adaptées.