L’écologie est l’un des combats, si ce n’est, le combat le plus important du 21e siècle. Ainsi, toutes les idées sont bonnes à prendre lorsqu’il s’agit d’agir contre le réchauffement climatique et pour protéger la biodiversité.
À l’instar de “Mission Patrimoine”, Jean-Marc Zulesi, député de la 8ᵉ circonscription des Bouches-du-Rhône, propose de créer un jeu à gratter afin de protéger la biodiversité. Une idée qui peut de prime abord sembler saugrenue, mais qui tire son inspiration de plusieurs précédents.
Voyons ensemble s’il est possible de créer un jeu de grattage pour défendre une cause. Ensuite, comment fonctionnent les jeux à gratter qui redistribuent des gains, et s’ils sont efficaces. Enfin, nous verrons s’il s’agit réellement d’une bonne idée.
Sommaire
Un jeu à gratter pour protéger la biodiversité, c’est possible ?
La création d’un ticket à gratter passe par plusieurs étapes. Pour rappel, les jeux de grattage sont encore aujourd’hui un monopole détenu par l’opérateur de jeu français historique ; la Française des jeux. Eux seuls sont habilités à commercialiser ce type de jeu de hasard.
Ainsi, la Française des jeux est toujours à la recherche de nouvelles idées pour enrichir son catalogue de jeu à gratter. De plus, elle cherche également à surfer (à travers une communication efficace) sur les valeurs les plus importantes de la société comme l’écologie ou l’aspect social 1.
Jeu à gratter pour protéger la biodiversité : une proposition osée ?
Jean-Marc Zulesi s’est inspiré du ticket à gratter Mission Patrimoine. En effet, la proposition n’a rien d’inédite en elle-même, puisque la Française des jeux a déjà commercialisé 2 tickets à gratter entièrement dédiés à une cause en particulier.

Sachant cela, le député de la 8ᵉ circonscription des Bouches-du-Rhône, profite de la volonté de la FDJ à s’investir dans différentes causes pour leur souffler cette idée. Cette dernière entre parfaitement dans les projets habituels de l’opérateur français du jeu de hasard.
Ainsi, la proposition de créer un jeu à gratter pour protéger la biodiversité est une proposition cohérente. Que ce soit avec la ligne directrice de la FDJ, ou encore, avec le combat écologique qui est, plus que jamais, à l’ordre du jour.
Mais pourquoi donc un jeu de grattage ?
Bien que cela puisse être débattu sur le fond, il est forcé de constater que, sur la forme, le ticket à gratter se prête parfaitement à ce genre d’initiative. En effet, il possède deux avantages non négligeables.
D’une part, le ticket à gratter est la star des jeux de hasard en France. Il arrive en tête, loin devant les paris sportifs, le Loto, ou encore, les autres jeux de casino. Les ventes de tickets à gratter sont en constante augmentation depuis leurs créations, en 1990.
En 2021, les tickets à gratter représentaient à eux seuls près de 9 milliards d’euros de mises sur les 18,9 milliards d’euros engrangés par la FDJ 3.
D’autre part, le ticket à gratter est un support qui peut être rapidement mis en œuvre. En effet, de sa conception, à sa fabrication, puis à sa commercialisation, il ne s’écoule que très peu de temps. Ainsi, il est possible de mettre en place ce projet très rapidement.
Le but étant de récupérer rapidement un maximum d’argent afin de l’utiliser pour la cause dont il est question.
Il semble évident que le choix du support du ticket à gratter prend racine à travers la facilité de sa mise en place, la portée commerciale qu’il possède, et enfin, il s’appuie sur la réussite des précédents tickets qui avaient la même vocation.
Un jeu à gratter pour soutenir des causes : les précédents
Comme nous le disions au-dessus, la Française des jeux a déjà commercialisé des tickets à gratter qui avaient pour but de soutenir financièrement des causes. Pour le moment, il y a eu 2 tickets de grattage basés entièrement sur la cause qu’ils défendaient. “Missions Patrimoine” que vous connaissez déjà, mais aussi le moins connu, “Solidaires, pour un monde meilleur“.
“Solidaires pour un monde meilleur”
La Française des jeux a profité de la COP21 (en 2015) pour sceller un partenariat avec la WWF 4. En effet, suite à ce partenariat, la FDJ a proposé un ticket à gratter nommé “Solidaires, pour un monde meilleur”. Ce dernier reversait 4 % de ses gains à l’ONG dédiée à la protection de la nature.
Par ailleurs, la Française des jeux avait également reversé la somme de 1 million d’euros pour sceller ce partenariat 5. Suite à cette expérience réussie, la WWF est devenue l’un des principaux partenaires de la FDJ, recevant chaque année, et depuis 2017 jusqu’à aujourd’hui, des dons de l’opérateur de jeu.
“Solidaires” est un ticket à gratter sorti en 2015, et qui a directement financé la préservation de la biodiversité dans la forêt amazonienne par exemple. Comme on peut le voir, la FDJ a déjà commercialisé un jeu à gratter pour protéger la biodiversité.
Combien a touché l’ONG WWF grâce au ticket à gratter FDJ “Solidaires” ?
La Française des jeux offrait 4 % du total des mises du jeu à la WWF. Le ticket “Solidaires” a été édité à 20 000 000 d’exemplaires et était vendu pour la somme de 3 € 6. Ainsi, l’ONG a reçu 2,4 millions d’euros (sans compter le million d’euros de don de la FDJ) pour alimenter son combat en faveur de la nature.
“Mission Patrimoine”
Mission Patrimoine est un ticket à gratter beaucoup plus connu que “Solidaires”, et cela, pour une raison simple ; il a un porte-étendard populaire et reconnu. En effet, la communication du ticket à gratter a tourné autour de l’amour que Stéphane Bern porte à l’histoire de France, et a fortiori, à son patrimoine.
Stéphane Bern s’est investi personnellement, et avec le concours du ministère de la Culture et de la fondation du patrimoine 7, pour sensibiliser les Français à la sauvegarde de leur patrimoine.

Est-ce que cela a été une réussite ? Incontestablement, la réponse est oui. Nous le verrons par la suite, le ticket “Mission Patrimoine” a eu un vrai impact positif dans la restauration de nombreux monuments. Bien qu’insuffisant pour protéger l’ensemble des sites identifiés, l’argent récolté a été déterminant pour sauver certains lieux menacés de destruction.
En somme, nous avons ici un exemple concret de jeu à gratter qui a servi à entretenir et à valoriser le patrimoine culturel français.
Comment fonctionnent ces tickets à gratter et quelle somme est réellement redistribuée aux associations ?
Certains peuvent trouver que les sommes reversées sont faibles par rapport aux mises totales engrangées par la FDJ. Mais pour se prononcer, il faudrait tout d’abord pouvoir connaître le contenu de ces mises.
Comment est découpé un ticket à gratter ?
L’opinion communément admise concernant les jeux de grattage, c’est que la Française des jeux “s’en met pleins les poches“. Évidemment, la banque est toujours gagnante, c’est impossible de soutenir le contraire, néanmoins, il faut être plus mesuré.
Nous allons voir comment est découpé un ticket à gratter, en somme, où va donc l’argent de la FDJ ?
Comme on peut le voir, les revenus des tickets à gratter de la Française des jeux sont découpés entre plusieurs entités. Ainsi, la plus grosse partie des mises revient bien entendu aux joueurs. Sans cela, il est impossible de vendre un jeu à gratter. Bien que le taux de retour aux joueurs puisse fluctuer selon les tickets proposés, la moyenne se situe à 68,5 % pour l’année 2021.
Ensuite, vient la part de l’État. En 2021, l’État a récupéré 3,816 milliards d’euros d’impôts et de taxes sur les jeux de hasard vendus par la Française des jeux.
Souvent oubliés, la troisième partie est composée des revendeurs agréés par la FDJ. Les détaillants récupèrent en moyenne 6,5 % des mises totales des jeux FDJ.
Enfin, la Française des jeux conserve 4,99 % du total des mises dépensées par les joueurs. Ces 4,99 % sont composés des charges de fonctionnement, et du budget marketing et développement consacré à l’offre de jeux de la FDJ.
Ainsi, il est étonnant de voir que la Française des jeux conserve “si peu” d’argent. Néanmoins, il ne faut pas oublier que l’adage dit vrai, et que “la banque est toujours gagnante”.
Exemple concret d’un jeu à gratter engagé : “Mission Patrimoine”
Nous avons vu de quelle façon sont découpées les différentes mises des joueurs au sein d’un ticket à gratter. Cela va nous permettre de mettre en application, et surtout, de mieux comprendre comment “Mission Patrimoine” fonctionne.
Mission Patrimoine est une grande réussite. Il a réussi à trouver, à travers Stéphane Bern, un porte-étendard capable de défendre le concept du jeu.
Depuis sa commercialisation en 2018, le ticket à gratter Mission Patrimoine a redistribué (avec l’aide du Loto du même nom) plus de 100 millions d’euros à la fondation de la protection du patrimoine 8.
Voici comment se décompose précisément un ticket à gratter Mission Patrimoine 9 :
Bien que la somme reversée semble faible au regard du prix du ticket, il faut reconnaître que les sommes totales engrangées par année pour la protection du patrimoine sont non négligeables, voire indispensables. Elles dépassent même, et de loin, les subventions du gouvernement.
Sommes versées par année à la Fondation du Patrimoine :
Années | Sommes versées |
2018 | 22 000 000 |
2019 | 25 000 000 |
2020 | 25 000 000 |
2021 | 29 000 000 |
L’exemple de ce ticket à gratter, et de l’initiative dans son ensemble, est une réussite sur le plan financier. L’objectif initial de la FDJ était de participer à hauteur de 15 à 20 millions d’euros, comme on peut le voir, les objectifs ont été dépassés grâce à la popularité du ticket.
Un jeu de grattage pour protéger la biodiversité, une vraie bonne idée ?
Pour commencer, il est important de rappeler que la protection de notre écosystème, et la défense de la biodiversité, nécessitent des idées, mais aussi, énormément de fonds. Bien que les subventions du gouvernement restent la façon numéro 1 de financer la lutte contre le réchauffement climatique. Sur le terrain des opérations, force est de constater que cela est loin d’être suffisant.
Les appels aux dons sont également légion pour soutenir cette lutte, et il s’avère souvent que la générosité des donateurs bat des records chaque année.
Parmi les plus belles actions caritatives de l’année, nous pensons immédiatement au Z-Event. Cette réunion de streamers en tout genre a réuni plus de 10 millions d’euros en seulement 50 heures 10. Cette somme a été redistribuée et répartie entre 5 associations, dont WWF, qui luttent toutes contre l’effet néfaste de l’homme sur la nature.
Ces initiatives sont essentielles, mais elles aussi, pas assez suffisantes pour affronter efficacement les défis concernant la protection de la nature.
Loteries, jeux à gratter pour protéger la biodiversité, un impact réel…
Comme nous l’avons vu précédemment, la nécessité d’obtenir des fonds pour différentes causes est énorme. L’ampleur de la tâche est telle, que même le plus gros donateur de subventions, l’État, ne suffit pas à répondre à toutes les problématiques.
Ainsi, il est aisé de se dire que plus les initiatives sont nombreuses, plus l’impact des dons sera important. La création d’un jeu à gratter pour protéger la biodiversité s’inscrit donc dans cette lignée. Bien qu’il y ait des détracteurs à cette initiative, la réalité et l’ampleur des problèmes qui font face nécessitent les bonnes volontés de toutes et tous. Et si cela doit passer par la création d’un jeu de grattage, pourquoi pas ?
Par ailleurs, pour vérifier la pertinence d’un tel projet, il suffit de s’intéresser aux précédents, et de ce fait, aux jeux déjà créés pour l’occasion.
Donateur | Somme totale | Part du Budget total |
Jeux FDJ Mission Patrimoine | 111 000 000 | 55,78 % |
État | 69 000 000 | 34,67 % |
Dons (entreprises, particuliers) | 19 000 000 | 9,55 % |
Si nous prenons l’exemple de “Missions Patrimoine, nous pouvons voir que l’initiative a eu un réel impact sur la préservation du patrimoine. En effet, la Mission Stéphane Bern et la Fondation du patrimoine ont pu sauver 745 sites historiques depuis 2018 9.
Très clairement, ces projets ont pu aboutir grâce à la part énorme de financement représentée par les jeux FDJ “Mission Patrimoine”. Lorsque l’on voit que l’apport de la FDJ représente à lui seul plus de 55 % du budget total alloué à la sauvegarde de notre patrimoine, il est impossible de nier l’efficacité d’un tel dispositif.
…mais qui ne doit pas être exhaustif
Les détracteurs de cette proposition sont nombreux. La majorité d’entre eux dénonce le manque d’investissement politique des élus en désirant se reposer sur un “impôt indirect” afin de financer la protection de l’environnement. Protection de l’environnement qui devrait être l’une des prérogatives principales des élus et du gouvernement.
D’autres, insistent sur le fait que cette proposition est moralement discutable, car elle vise toujours la même classe de la population. Ce faisant, la charge de la responsabilité est transférée sur la classe populaire tout en permettant aux élus d’en retirer les fruits.
Par ailleurs, cela est un fait, d’après l’OFDT (Observatoire français des drogues et des tendances addictives), 55,4 % des amateurs de jeux de hasard sont sous diplômés, et 55,5 % d’entre eux sont des ouvriers ou des employés 11.
Néanmoins, et contrairement à l’opinion majoritaire, la grande majorité des joueurs sont actifs. Les chômeurs, quant à eux, ne représentent que 10,1 % des joueurs.
Mais alors, est-ce que ces critiques sont légitimes ?
La question de l’écologie et de l’engagement envers celle-ci est suffisamment importante pour que l’on se pose la question. Mais, pour répondre à cette question, vous pouvez adopter deux postures.
L’une d’entre-elles suggère que faire porter la charge de la protection de la nature sur les classes populaires, et sur un jeu de hasard, est moralement critiquable. Tout cela sans parler du fait que le gouvernement semble, via cette proposition, adopter une posture d’abandon face à l’urgence de la situation.
L’autre posture, quant à elle, est de se dire ; que les jeux de hasard existent, et qu’ils fonctionnent. Ces derniers fonctionneront toujours, et peu importe le sujet du “ticket du moment”, ce dernier se vendra de toute façon. Ainsi, pourquoi ne pas se servir de ces jeux pour en ponctionner une partie afin de financer une cause ?
Ces deux positions sont défendables, et présentent deux visions différentes de la société que l’on désire.
Conclusion
Au-delà du débat fondamental, il va de soi que la solution proposée peut avoir un impact réel. En fonctionnant en système de Common Law 12, comme les Anglais, nous savons que ces initiatives fonctionnent et que les résultats sont réels. Ainsi, sur le court terme, le bon sens (pragmatique) nous pousserait à adopter ce type d’initiative pour contribuer à la protection de la biodiversité. Certes, c’est une réponse facile, à un problème compliqué. Mais toute brique est importante pour favoriser les fondations de ce combat.
Mais pouvons-nous oublier aussi facilement les fondements de notre société ?
Les réponses faciles apportent également des dérives. Parmi celles-ci, on peut imaginer alors la mise en place de loteries pour soutenir les hôpitaux, les retraités ou encore, les chômeurs. Finalement, les détracteurs peuvent aussi apparaître comme étant indispensables afin de pouvoir maintenir les limites de ce genre d’initiative.
Nous finissons cet article avec une citation de Joseph Schumpeter 13.
“Le capitalisme, s’il reste stable économiquement, et même s’il gagne encore en stabilité, crée, en rationalisant l’esprit humain, une mentalité et un style de vie incompatibles avec ses propres conditions fondamentales, avec ses motivations profondes et les institutions sociales nécessaires à sa survie.“
Sources :
- Marketing et communication de la FDJ : défense des valeurs sociales et écologiques
- Jean-Marc-Zulesi soumet une proposition : créer un ticket de grattage pour la protection de la biodiversité.
- Mises totales des jeux à gratter par rapport à l’ensemble des mises FDJ en 2021
- La FDJ scelle un partenariat avec la WWF
- 1 million d’euros de dons offert par la FDJ à l’ONG WWF suite à la création du ticket de grattage “Solidaires”
- Règlement légal et distribution des gains du jeu “Solidaires pour un monde meilleur” (Site du gouvernement)
- Stéphane Bern, mandaté par le Président de la République pour promouvoir la Fondation du Patrimoine
- 100 millions d’euros reversés à la Fondation du Patrimoine
- Rapport des sommes versées à la Mission Bern, à la Fondation du Patrimoine, et rapport du nombre de lieux sauvés
- L’édition du Z-Event 2022 a permis de réunir plus de 10 millions d’euros pour la cause écologique
- Rapport socio-démographique sur le profil des joueurs de hasard en France en 2014 par l’OFDT
- Droit anglais : la règle du précédent et de la jurisprudence
- Joseph Schumpeter est notamment celui qui a matérialisé la théorie de la “destruction créatrice”